La Bible vrai ou faux ?

La question n’est pas là !

Thomas Römer vient de publier avec Estelle Villeneuve un résumé passionnant des dernières découvertes et des dernières hypothèses concernant l’origine des textes et des traditions de la Bible.

(La Bible, Quelles histoires, Labor & Fidès / Bayard ,2014)

Naturellement qu’il y aura toujours des esprits chagrins pour dire « Tout cela est donc une invention,  la religion est donc une vaste supercherie ! » et de retourner vaquer aux magouilles profitables à plus ou moins court terme.

Ce qui m’impressionne, c’est le génie humain qui a petit à petit récolté, organisé, mis en perspective, puis à plat, repris, interprété et rédigé en réinventant une logique et des chronologies pour nous livrer ce que nous trouvons sous forme de TOB, Traduction de Jérusalem, Louis Segond, Français Courant, Chouraqui, sans parler des versions grecques hébraïques diverses qui en sont à l’origine.

Bien sûr que les uns ont influencé les autres, et que Thomas Römer nous raconte les divers avatars de EL, YHWH, LOGOS et BAAL, bref de cette voix indécelable avec précision et impossible a cerner dans un seul concept qui serait tellement pratique à clôturer dans une « vérité » opposable à toutes les erreurs comme le souhaitent tous les fondamentalistes.

Ce que j’apprécie ici, c’est la liberté des participants à ces élaborations qui nous est offerte, et nous permet de nous référer au plus près à ce qui fait sens aujourd’hui des intuitions initiales, comme les dix paroles, ou le résumé qu’en fait Jésus de Nazareth sur la nécessité de l’amour réciproque, de la vérité et de la charité dans la liberté.

Alors bien sûr il y a eu des scribes, des prêtres des légistes, des canonistes des « massorètes » (Vocalisateurs des consonnes des livres en hébreu) , des philosophes de la religion et des religieux de toutes obédiences pour malaxer textes, traditions et histoires, et nous commençons a découvrir leurs bonnes et mauvaises intentions pour redresser une tendance ou corriger une formule dogmatique déviante. Mais ce qui nous reste, c’est une source inépuisable de réflexions et d’ouvertures pour comprendre hier, aujourd’hui et sans doute demain. On se trompera encore, on interprétera à nouveau, on comprendra de nouveau qu’il n’y a en fait rien de bien nouveau et que l’humanité a des constantes qui sont presque aussi héréditaires que l’instinct de survie qui nous fait régler nos relations humaines et sociales de telles manières que la survie de la famille soit relativement assurée.

Les Inuits, les bushmans, les amérindiens, les chinois, les tibétains, les vaudois et les parisiens ont ceci en commun: Ils souhaitent juste vivre heureux … alors le reste devient très relatif, et si des rituels et des croyances nous aident à vivre, tant qu’elles ne portent pas atteinte à l’intégrité des autres, elles ne font pas de mal, et peuvent même faire du bien, Dieu Merci.

Le Λογος et le Nouveau Testament

Le Λογος est un concept qui apparaît au 6e siècle av JC et qui a été explicité – si on peut dire – par Héraclite d’Éphèse qui déplorait que « ce logos qui « est toujours », les hommes sont incapables de le comprendre »

Il est à l’origine de la pensée humaine, c’est le code qui nous permet de mettre des idées et des images en relation et de les formuler pour les partager, et les transmettre. Le logos est à l’origine de la pensée humaine, il est la raison créatrice de sens : « par la parole l’homme parvient à se représenter la réalité, à lui donner un sens » Après Héraclite la notion de Logos, assimilée à la fois à la raison et à la parole, va désigner la rationalité qui dirige le monde.

Philon d’Alexandrie, philosophe juif contemporain de Jésus va intégrer ce concept dans la culture juive : « C’est l’image de Dieu la plus ancienne de toutes les choses intelligibles »

(F.Lenoir, comment Jésus est devenu Dieu p. 120)

Dans Le Livre de la Sagesse (appelé en grec Sagesse de Salomon) 9:1-2, nous découvrons que Dieu a créé le monde à partir de sa parole (logos) tandis qu’avec sa sagesse il a formé l’homme :

1 Dieu des pères et Seigneur miséricordieux qui as fait l’univers par ta parole,(logos )

2 formé l’homme par ta Sagesse afin qu’il domine sur les créatures appelées par toi à l’existence,Sagesse 9

Ce livre de rédaction grecque fait partie du canon des Écritures inspirées pour les catholiques et les orthodoxes, mais ne figure pas au canon des écritures hébraïques ou protestantes.

Jean l’évangéliste va encore insister en citant des « paroles de Jésus » : « En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu’Abraham fût, Je Suis. » (Jn 8:58) ce qui va naturellement horripiler les juifs qui l’entourent dans le temple de Jérusalem.

Si nous nous reportons maintenant au Premier Testament, nous découvrons que « Je Suis »

mandate Moïse (Ex 3:14) pour exprimer devant le peuple les dix paroles.

« Je suis qui je suis » l’énigmatique identité de ce Dieu qui va se transcrire par «  יהוהYHWH » et se faire nommer « Le SEIGNEUR » ou « Adonaï » (Hébreu : אֲדֹנָי), Mes Seigneur, qui est la forme « plurielle » de « Seigneur », bien que syntacticalement singulier , pour éviter de prononcer son nom en vain, nom qui a finalement été comme effacé de la mémoire et de la tradition.

« Le nom divin suggère, pour utiliser une expression moderne, la totalité de l’être et de l’existant » écrit Mircea Eliade son « Histoire des croyances et des idées religieuses », (p.192)

Dans la traduction grecque du Premier Testament, le tétragramme «  יהוהYHWH » est traduit par « KuriosKurios » qui est traduit par « SEIGNEUR » celui qui est très vite associé au terme de «דברDAVAR  » la parole créatrice de la Genèse… seule manière d’appréhender l’identité divine. C’est cette même identité à qui est attribuée la création et les dix paroles qui sont au cœur même de l’enseignement de Jésus de Nazareth

Abraham Heschel écrit que « L’hébreu biblique n’a pas d’équivalent au mot « chose », « objet ». Le mot «דברDAVAR  », qui plus tard servira à traduire « chose », signifie en hébreu biblique: parole, mot, message, nouvelle, demande, promesse, décision, récit, dicton, affaire, occupation, actions, bonnes actions, événement, façon, manière, raison, cause; mais jamais « chose » ni « objet ». Est-ce le signe d’une pauvreté de vocabulaire, ou plutôt l’indication d’une juste vue du monde, qui ne confond pas la réalité (mot dérivé du latin res, chose ) avec le monde des objets ? »

La tradition du premier testament en grec alimenté par la LXX (70) utilise le terme de Logos pour traduire דברDAVAR ce qui ne pouvait échapper à Jean l’évangéliste, ni à Jésus lui même qui baignait dans la culture hellénistique de la région où jusqu’à aujourd’hui la pratique de diverses langues est une nécessité qui s’impose naturellement… Et nous retrouvons le« KuriosKurios » dont nous lisons l’identification avec Jésus dans les évangiles.

Quand les amis d’Emmaüs reviennent et disent :« C’est bien vrai ! Le Seigneur est ressuscité, et il est apparu à Simon. » (Lc24:34) c’est bien ce « KuriosKurios » qui est identifié à Jésus. Celui qui avait été « certifié » par la «דברDAVAR  »de «  יהוהYHWH » :il y eut une voix venant de la nuée : « Celui–ci est mon Fils bien–aimé. Écoutez–le ! » comme le raconte l’évangéliste Marc dans le récit du baptême de Jésus (Mc 9:7)

Nous sommes donc dans une élaboration théologique de la personnalité de Jésus de Nazareth, dont nous ignorons absolument s’il « savait » que ces attributions messianiques allaient lui donner le statut divin dont la trinité allait couronner son identité quelques années / siècles après sa mort.

En conséquence, l’affirmation « je suis » dans la bouche de Jésus (dans les textes qui lui ont étés attribués) doit être intégrée dans le contenu signifiant de ses paroles qui sont traditionnellement attribuées au « KuriosKurios »«  יהוהYHWH » …

Pourtant, 6 lui qui est de condition divine n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu. 7 Mais il s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes, et, reconnu à son aspect comme un homme, 8 il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une croix. (Phil.2:6-8)

Si historiquement Marie est envisagée comme mère de Dieu, cela se comprend naturellement, car elle est mère de Jésus et qu’il est devenu « KuriosKurios », «דברDAVAR » de «  יהוהYHWH » …

La syntaxe et la dogmatique produisent d’étranges associations !