Quels Dieu(x) pour les « petits prophêtes »

Comment percevoir l’engagement de Dieu dans l’alliance.

En considérant l’actualité de ce printemps 2023, nous ne sommes pas loin de devoir nous interroger sur l’avenir de la planète, comme les paysans de Palestine aux temps de Darius… Le monde courait à sa perte, Darius a l’air de le remettre dans une possible perspective, et Zorobabel est arrivé (hé hé) avec «DIEU et son discours». Mais ne nous y trompons pas, L’HISTOIRE de Darius avec la province de Palestine est un effet collatéral de sa politique et n’a pas beaucoup d’importance pour le reste du monde, sauf pour les juifs de la région qui vont en profiter pour se requinquer.

L’ensemble des textes proposés pour cette semaine de Vaumarcus 2023 font un peu froid dans le dos : Comme si rien ne change dans cette région, les opprimés ne sont pas toujours les mêmes (quoi que …) et les comportements inopportuns du peuple juif est la cause de ses déboires. Est-ce que le rassemblement à l’abri du Temple (reconstruit) est un objectif religieux ou politique : La question reste d’une brûlante actualité au 21e siècle, puisqu’en plus il faut partager l’esplanade avec les musulmans et les chrétiens. On n’est pas encore sorti de l’auberge (d’Emmaüs).

Le «présent» en question.

Il faut aussi se remettre dans le contexte de la culture locale de l’époque et dans la tradition hébraïque qui n’a pas du tout la même conception de l’histoire et de la politique de la région que nous pourrions avoir aujourd’hui : Le «peuple de Dieu» a un objectif : Manifester qu’il a une existence concrète après ses tribulations et ses échecs militaires et culturels et sociaux. Un objectif politique pour lequel « Dieu(x) » va être mis à contribution, avec plus ou moins de succès.

Cela a une conséquence concrète dans le discours narratif des textes de la bible, et pose des questions philologiques infinies aux traducteurs et aux théologiens qui tentent de donner un sens actuel à des textes anciens. Les «anciens» n’avaient pas cette problématique car ils baignaient dans cette culture, et les sens des paroles bibliques étaient évidents.

Dans son livre «Il n’y a pas de Ajar», Delphine Horvilleur, rabbine, dialogue avec le fils imaginaire d’Emile Ajar-Romain Gary et lui fait remarquer

«en hébreu, le verbe être, ça n’existe pas au présent.

Tu ne peux pas dire :

je suis ceci ou je ne suis pas cela.

Parce que tu ne peux dire ni « je suis », ni « je ne suis pas .

Tu peux conjuguer le verbe être au passé ou au futur.

Mais au présent, ça disparaît comme le lapin dans le chapeau du magicien. Bref, en hébreu, tu peux « avoir été » et tu peux être « en train de devenir », mais tu ne peux absolument pas « être »…1

En hébreu, il y a deux mode pour les verbes : Accompli et/ou Inaccompli.

C’est plus que la différence entre le «passé» et le «futur», Car entre les deux, il n’y a pas d’espace, même pas de «l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette».

Rappelez-vous la réponse du «buisson» à Moïse qui lui demande son nom :

«Eyé asher eyé» qu’on traduit habituellement de manière erronée, par «je suis qui je suis» .

«Je suis-eye» forme accomplie : Tout le monde sait que c’est le dieu d’Abraham Isaac et Jacob car nous avons appris ce qu’il a été et ce qu’il a fait jusqu’à aujourd’hui, à l’époque de chacun des patriarches comme de la notre. («Asher- celui qui») «Je suis-eye» forme inaccomplie, dont nous ne savons encore rien, est son identité souhaitée dans le futur.

Interrogée par Laure Jubran, de Nazareth, son amie rabbine2 elle aussi, donne son interprétation : «Je serai «ce3» que tu auras besoin que je sois …»

Cette «identité» ouvre les possibles infinis : Le consolateur, le rédempteur, le compagnon de route, l’inspirateur, le soutien moral (de préférence à immoral!).

Il est donc performant dans l’eucharistie – Ste Cène, et comme garantie des Dix Paroles à concrétiser Il est aussi «inexistant» si ce besoin est nécessaire comme argument (Voir Christian Bobin) ou sous toutes sortes d’identités : Dieu, Allah, Yahwé, Jehova, le soleil, ou l’instinct de survie.

Le seul critère : La confiance que son identité réponde à mon besoin, ( comme St Antoine pour retrouver mes clés…) Y compris sa famille au sens large : Jésus de Nazareth (accompli) image de dieu (inaccompli), Marie sa mère en particulier sous toutes ses déclinaisons (accomplies) pour une présence réelle (inaccomplie) à invoquer.

Dans les anciennes versions des traductions «Synodales», «Darby» ou «Segond» des bibles en circulation, nous trouvons le terme «Dieu des Armées». La TOB préfère la référence «Seigneur tout puissant» on peut aussi le dire «Le Capable de Tout», ce qui entraîne des conséquences théologiques dangereuses : Sa responsabilité dans les catastrophes naturelles (on a déjà donné!) les maladies et la mort, les accidents.

Pour la guerre, il faut plutôt chercher la responsabilité chez les humains.

Israel, Juda et la Samarie à l’époque Perse :

Les textes de référence de la semaine de Vaumarcus 2023 se situent entre – 530 et – 450 avant J-C. La (re)construction du 2e temple, interrompue par l’opposition des Samaritains, va reprendre.

C’est aussi la période de la constitution des corpus de textes qui vont servir à l’élaboration de la Thora et des livres historiques qui se figeront (presque) autour de -300 avec l’édition de la LXX à Alexandrie. Il fallait une harmonisation et une homogénéisation des sources et des traditions afin de permettre une «lecture universelle» incontestable des traditions d’Israël et du peuple hébreu.

Ainsi, il faut toujours rappeler que la Bible, toute inspirée qu’elle soit, n’est pas un livre d’HISTOIRE, mais un livre d’histoires et d’aventure des hommes et des peuples en relation avec leurs dieux, souvent différents, selon l’origine des traditions.

Avec l’avènement de Darius en Perse, l’empire menace d’éclater et différentes provinces sont constituées, avec des délégués-représentants du pouvoir, comme Zorobabel en Israël. Ils sont chargés de la reconstruction des villes et d’accompagner les exilés qui reviennent sur la terre de leurs ancêtres comme leaders d’opinions, et pour reconstituer une structure administrative «locale» indispensable pour éviter le sentiment d’une occupation étrangère.

Aggée intervient entre août et décembre 520, Zacharie prophète et prêtre le suit, entre – 520 et – 518, soit trois ans avant la dédicace du «Nouveau Temple».

Il introduit une nouvelle perception du divin, plus éloigné des contingences du temps. Malachie, enfin intervient entre – 480 et – 450 dans une Jérusalem au temple reconstruit … mais dont les effets bénéfiques promis et attendus ne se sont pas concrétisés.

Zacharie doit aussi affirmer la continuité sacerdotale après la disparition de Zorobabel (Qui fait partie des ancêtres de JC). Au chap 8, il décrit la décrépitude de la situation de la cité principale, mal vécue par les exilés, qui sont mal assimilés et ceux qui sont restés, méfiants envers ceux qu’ils considèrent comme des étrangers. La question se pose aux uns comme aux autres : Sont-ils même «vraiment juifs» même si cette dénomination est encore incertaine : Beaucoup ont fondé familles avec les occupants, et les exilés avec ceux qu’ils avaient comme voisins. La seule chose qui peut «sauver l’honneur» du peuple et lui garantir un avenir, c’est le rappel que nous trouvons au chap 8 : 16-17 :

16 Voici les préceptes que vous observerez : dites-vous la vérité l’un à l’autre ; dans vos tribunaux, prononcez des jugements véridiques qui rétablissent la paix ; 17 ne préméditez pas de faire du mal l’un à l’autre ; n’aimez pas le faux serment ; car toutes ces choses, je les déteste — oracle du SEIGNEUR.

Ces «préceptes» sont la base de la démocratie, même si cette notion est totalement anachronique. Il est probable que les «Dix Paroles» ont aussi fait partie du discours du 1er Zacharie4.

Il serait bon de les rappeler aujourd’hui à des politiciens qui n’ont rien à envier à ceux d’autrefois.

Conclusions (provisoires)

Ces textes «prophétiques» sont l’illustration de la mission traditionnelle des prophètes qui interprètent les «signes des temps» et proposent aux souverains des pistes pour s’en sortir. Ils décrivent des situations dans lesquelles ils impliquent un Dieu(x) (accompli) dont on subodore les réactions dans les avanies subies par le peuple. Ils offrent un cadre programmatique connu, mais pas vraiment respecté, en signalant que «Dieu(x) » (inaccompli) saura récompenser les observants fidèles à ce qui avait été promis autrefois à Abraham, Isaac, Jacob, Moïse par celui que tous reconnaissent comme le «Je suis-Eye» (Accompli) et qui sera «Je suis-Eye» (inaccompli pour le moment) le messie, le souverain des cieux, le dictateur providentiel, qui permettra la paix universelle, et des lendemains qui chantent.

Un peu de gymnastique intellectuelle est maintenant indispensable pour comprendre les enjeux de ces récits :

Les lecteurs des rouleaux et autres codex, devenus les bibles d’aujourd’hui ont sous les yeux les relations entre le peuple juif et l’image de « Dieu(x) » dans l’espace temporel Accomplis. Il faut en faire le meilleur usage en prenant les décisions qui nous engagent dans l’espace encore Inaccompli, pour ne pas répéter ce qui s’est passé autrefois. A quels dieux allons nous accorder notre confiance (foi) ?

Un « tout puissant » qui prend ses décisions sans nous et nous impose tourments et catastrophes ? « Mammon » et ses épigones qui promettent monts et merveilles en payant le prix fort ? L’incarnation de « Jésus de Nazareth » l’accompli exemplaire qui nous laisse la responsabilité d’appliquer les dix paroles dans la charité ?

Les générateurs de « fakes news » qui nous baladent et dont nous devons nous méfier, comme l’écrivait déjà Paul aux Éphésiens 4.14.

afin que nous ne soyons plus des enfants, flottants et emportés à tout vent de doctrine, par la tromperie des hommes, par leur ruse dans les moyens de séduction, 15 mais que, professant la vérité dans la charité, nous croissions à tous égards à l’image de celui qui est le modèle, Christ.

Ces textes sont d’une actualité qui m’impressionne, comme d’habitude.

1«Il n’y a pas de Ajar», Delphine Horvilleur. p.74. Ed Grasset, sept 2022

2Leora Ezrachi Vered

3Totalement indéfini … et probablement pas anthropomorphe … sauf que «à son image» laisse le doute.

4A partir du chap 9 c’est un autre prophète référence dont les récits recouvrent une période qui va jusqu’en 300 si on considère la campagne d’Alexandre le Grand sur la côte méditerranéenne et la destruction de Tyr en 330, bien décrite au chp 9.